Voilà ce que j'ai écrit pour un concours dont le thème était d'écrire un journal intime s'étalant sur une durée de 7 jours maximum.
Ce n'est pas mon histoire.[on sait jamais quoi!]
TULIPE?
Note: Ce journal fait partie du dossier médical d’Alexia B. Son usage est strictement réservé au corps médical et à la famille de la patiente, quiconque autre se trouvant en sa possession se verrait dans l’obligation de le ramener à l’hôpital d’Aix, sous peine d’amende sévère.
Le 21/12/06, 19h13, heure de ma montre,
Cher journal, je trouve ça ridicule de s’adresser à un objet. Je trouve ça aussi ridicule de tutoyer ledit objet. Donc, je vais me prendre pour Anne Frank, je vais vous trouver un nom (je ne vous appellerai pas Kitty, ça ferait trop plagiat) et employer le « vous» comme si c’était quelqu’un que je ne connaissais pas ! Au moins, ça mettra un peu d’originalité dans le fait super monotone d’écrire son journal. Albert, c’est un peu ringard … Je crois que je vais vous appeler Jane. Au moins, je me confierais à vous en ayant l’impression de parler à Jane Eyre, l’héroïne d’Emily Brontë, qu’est-ce que ce sera bien !
Chère Jane donc, puisque vous ne me connaissez pas, il faut bien que je me présente. C’est la première fois que je vous écrit, il faut donc que vous me connaissiez un peu mieux car vous serez en quelque sorte ce qui me permettra de relire mes pensées les plus profondes et peut-être même de m’auto juger, qui sait ? Ainsi donc, je m’appelle Alexia. J’aurai treize ans dans un mois. Treize ans … Il paraît que c’est l’âge de raison, mais je pense être déjà bien assez raisonnable, j’ai vite mûri dans cet hôpital. Je ne vais plus en cours depuis l’an dernier, à cause d’une maladie qu’on appelle « phobie scolaire ». Je me doute bien que ça ne vous dit rien. A cause de ça, dès que je suis trop proche de mon collège ou bien qu’on me force à y aller, je suis sur le point de m’évanouir et j’ai très envie de vomir. Il paraît que c’est pour ça que je suis ici, enfermée dans cet hôpital pour enfants. Ce sont les psychologues qui m’ont donné ce journal intime, me disant que ça m’aiderait à extérioriser mes peurs, mes angoisses, mas moi ça me sert à rien, je sais de quoi j’ai peur, c’est juste que je ne sais pas pourquoi. D’après le Docteur T., je suis la seule à connaître la réponse et je suis la seule à pouvoir la donner. Qu’est-ce qu’il est bête lui ! Dans ce cas là, ça veut dire qu’il ne sert à rien ! Tulipe et moi, on le déteste. Tulipe, c’est ma voisine de chambre. Elle n’a que 11 ans mais je vous assure qu’elle est très mûre pour son âge. C’est sa maladie qui l’a fait grandir. Elle, elle est anorexique. Sa maladie est bien plus dure à surmonter que la mienne, donc, je ne me plains pas. Vu qu’elle déteste se faire plaindre, je ne la plains pas non plus. Toutes les deux, on vit comme si on était « normales ». On ne se juge pas, on parle de tout ce que les filles normales parlent, à part de nourriture et d’école. C’est bien, ça nous laisse plus de temps pour parler des garçons ! Demain, Papa et Maman passent à l’hôpital. Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de les voir, parce qu’après tout, ils n‘essaient même pas de m’aider, ils me croient folle. J’hésite … Mais bon, de toute façon, les visites des parents sont obligatoires. Bon, il faut que j’aille manger, il est 19h31, je suis en retard.
Le 22/12/06, 17h09, heure à mon réveil,
Chère Jane, aujourd’hui, Tulipe n’était vraiment pas en forme. Elle n’a rien mangé, ils lui ont remis ses perfusions alors qu’ils les lui avaient enlevés depuis trois jours. Elle était très déçue d’elle-même, je l’ai lu dans ses yeux. Du coup, elle a été obligée de rester dans la chambre toute la journée, avec son espèce de machine avec ses aiguilles plantées dans le bras. Elle aussi, elle a un journal intime, donc on a passé toute la matinée à se parler, assises dans nos lits. Vers midi, après le repas, mes parents sont arrivés. Je ne suis même pas sortie de mon lit pour leur dire bonjour. J’ai fait semblant de dormir. Mais l’infirmière est venue me réveiller ! Sur le moment, j’ai vraiment été dégoûtée. Je leur ai dit bonjour, et ma mère a tout de suite attaqué avec un « Mais pourquoi tu as toutes ces perfusions dans le bras ma chérie ? Ils ne te les avaient pas enlevées il y a trois jours ? ». Je n’ai pas compris, j’aurai voulu lui dire que ce n’était pas moi qu’on perfusait, qu’elle était folle et que c’était Tulipe qui en avait besoin. « Tulipe … » C’est la seule chose que j’ai réussi à dire. Et là, mon père, qui comprend encore moins que ma mère, s’est mis à crier. Je ne sais même pas ce qu’il a dit, parce que je me suis bouché les oreilles. Je sais juste qu’il n’avait pas l’air content du tout. Alors je suis repassée sous ma couverture et j’ai fait semblant de dormir. Ils sont partis à 15h. J’ai entendu l’infirmière leur dire : «Quand elle est comme ça, il n’y a rien à faire ». Ma mère a pleuré, un peu. Mon père a encore crié, mais moins fort. Et puis pfft … ils sont partis. Je les reverrai dans 3 jours, pour le Noël de l’hôpital. Tulipe, qui avait tout entendu m’a regardée avec son air de cadavre et ses perfusions dans le bras, et elle m’a dit qu’il fallait pas que je m’inquiète, qu’ils reviendraient comme toujours et qu’ils ne pouvaient s’en prendre qu’à eux. C’est tout noir dans ma tête, je sais plus où j’en suis.
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Le 23/12/06, 11h42, heure officielle de l’hôpital,
Chère Jane, J’adore les deux jours avant Noël ! Surtout Le 23, parce que à l’hôpital on prépare le sapin et on décore les chambres. Tulipe et moi, ça nous fait une bonne occasion de nous amuser toutes les deux. C’est le deuxième Noël qu’on passe à l’hôpital, le deuxième où elle a encore ses perfusions mais nous, on s’en fiche, on s’improvise expertes en décoration. Tulipe adore le rouge, je préfère les guirlandes de couleur bleue. Donc, on a fait un petit mélange de guirlandes et de boules pour décorer notre chambre et notre sapin. J’ai hâte que l’infirmière voit ça. Elle est toujours contente quand je m’amuse et que je décore. Il me tarde de voir sa réaction.
Le 23/12/06, 13h24,
Jane, ça n’a pas plu du tout à l’infirmière. Elle a dit que ce n’était pas harmonieux, que ça allait pas ensemble. Tulipe lui a expliqué qu’on avait pas les même goûts toutes les deux. Et là, elle s’est adressée à moi en me disant d’arrêter mon cirque. Je n’ai pas compris. Du coup, Tulipe était très vexée. Elle a encore rien avalé à Midi, remarque, elle, elle s’en fiche, elle a ses aiguilles plantées dans son bras. Mais malgré tout, elle a été convoquée chez le docteur T. Il lui a demandé pourquoi elle ne mangeait pas, elle lui a expliqué que l’infirmière n’aimait pas la décoration. Il n’a pas compris, comme d’habitude, il n’y a que Tulipe et moi qui puissions comprendre après tout, parce que c’est NOTRE chambre, NOTRE décoration. L’infirmière revient dans notre chambre, je vais devoir vous laisser Jane.
Le 23/12/06 (encore), 20h19,
Chère Jane, oui, aujourd’hui j’ai besoin d’écrire. Quand l’infirmière est revenue dans notre chambre cet après midi, elle nous a encore demandé pourquoi on avait décoré avec des couleurs qui n’allaient pas ensemble ; j’ai totalement craqué ! Mais c’est sa faute après tout, pourquoi elle s’acharne sur Tulipe et moi ? On ne lui a rien fait et en plus on est propres et on décore notre chambre, qu’est-ce qu’elle veut de plus ? Je ne lui ai pas demandé, évidemment. J’ai juste pleuré pendant une heure et demie. Quand elle est revenue, je pleurais encore. Mais je faisais semblant de dormir, c’est ce que je sais le mieux faire. L’infirmière m’a dit que j’avais rendez-vous avec le psychiatre dans une heure. Une fois qu’elle a été partie, je me suis habillée et je suis allée voir mon grand ami le Docteur S. Lui, je le déteste encore plus que le docteur T, pour la bonne et simple raison qu’il me parle comme à une débile en bas âge. Donc, à l’heure pile où je devais aller le voir, j’ai frappé à sa porte. On ne doit jamais être en retard quand on a rendez-vous avec lui sinon il nous fait la morale pendant une demi-heure sur les « bienfaits de la ponctualité dans notre société et blablabla … » et vu que je n’avais pas spécialement envie de subir ça, j’y suis allée pile à l’heure. Donc je frappe, il me dit d’entrer, comme d’habitude. C’est un rite immuable, ça fait plus d’un an que ça n’a pas changé, tous les deux jours, je vais voir cet espèce de vieux puant à lunettes qui veut absolument « m’aider à m’en sortir » comme il dit si bien. Sauf que ce qu’il ne comprend pas, c’est qu’il m’enfonce de plus en plus en me parlant comme si j’avais huit ans. Comme d’habitude, il me demande si je vais mieux. Comme d’habitude, je lui réponds que je ne vois pas comment je pourrais vu que personne ne fait rien pour moi. Il a entendu parler de l’histoire des décorations. Il me demande : « Pourquoi tu t’es mise dans cet état ? » Je lui réponds qu’il n’a qu’à demander à Tulipe. Il me regarde bizarrement. Encore un qui n’a rien compris. Personne ne comprends rien, sauf Tulipe, elle elle comprend tout. Je repars dans ma chambre, blasée comme d’habitude. Finalement, je déteste le 23 Décembre.
Le 24/12/06, 15h20,
Chère Jane. J’en ai marre, Papa et Maman sont arrivés aujourd’hui en croyant me faire plaisir. Mais ça ne me fait PAS plaisir ! J’en ai marre qu’ils ne comprennent rien ! En plus l’infirmière nous a obligées à changer la décoration. Maintenant, c’est tout doré, parce que soi-disant c’est plus joli. Mais je m’en fiche que ce soit beau, je veux juste que Tulipe et moi on aime ! Et nous on aimait bien notre déco toute colorée. Maman trouve notre nouvelle déco très jolie. Papa ne fait pas de commentaires comme d’habitude. Ils ont voulu manger avec nous à midi. J’ai trouvé ça bizarre parce que d’habitude, à cause des problèmes de Tulipe, on ne mange que toutes les deux, sans personne pour nous regarder. Mais aujourd’hui c’est un grand jour, Tulipe n’a plus ses perfusion, et ça c’est super. Elle a mangé deux yaourts à midi, Papa et Maman m’ont dit « Tu ne manges pas assez ». Je leur ai dit que c’était un énorme effort pour Tulipe et qu’ils devraient faire des efforts. Tulipe souffre de l’intérieur, comme toujours quand on lui fait une remarque sur la nourriture. « Ma chérie, il faut que tu reprennes l’école l’an prochain » me dit maman. J’y crois pas. Elle a réussi à parler en dix minutes des deux sujets que Tulipe et moi nous n’abordons jamais. Je soufre, je m’arrête de manger et je pars dans ma chambre en pleurant. Je crois que Maman est toujours dans la cuisine. Ou alors, elle parle peut-être toujours au docteur T. En tout cas, moi je ne suis pas sortie de ma chambre. Avec Tulipe, on ne parle de rien, on n’a pas besoin de ça pour se comprendre.
24/12/06, 22h32
Je ne peux pas dormir. Je ne comprends pas pourquoi personne ne sait que Tulipe existe. J’ai relu ce que j’avais écrit et je me suis aperçue qu’en fait, personne ne faisait comme si Tulipe existait. J’ai mal au plus profond de moi. Je lui en ai parlé. Elle m’a dit « ne t’inquiète pas petit ange, ça va aller, ça va aller, moi Tulipe, je serais toujours là pour toi, contrairement à tous ces autres qui te mentent et qui ne veulent rien comprendre. ». Je ne peux pas croire que Maman mente toujours. Ses yeux ne me mentent pas, elle ne voit pas Tulipe. Papa non plus ne comprend pas parce qu’il n’essaie pas de comprendre. En réalité, je crois que personne n’a compris ce qui m’arrive et j’ai mal de sentir que tout le monde veut me comprendre sans que je fasse le moindre effort pour les aider. Je ne suis qu’une égoïste. Je ne mérite même pas d’exister. Je regarde Tulipe, mon double, mon autre moi, son corps décharné dans le miroir, les cicatrices des perfusions sur son bras gauche et je me dis que personne ne sait qu’elle existe. Jane, au secours, j’ai besoin d’aide, mais pas de l’aide qu’on me donne, j’ai besoin d’une aide plus forte, Tulipe est toujours là, à me regarder, à me dire qu’elle seule me comprend, je ne peux plus rien faire. C’est encore tout noir dans ma tête. Je ne crois plus que je sortirai de l’hôpital un jour, parce que si Tulipe reste là, avec moi, je ne serai jamais, JAMAIS guérie. Je crois que demain, j’en parlerai au Docteur S. Joyeux Noël
Le 26/12/06, 18h32
Jane, je suis désolée, je manque à tous mes devoirs, je sais, j’ai oublié d’écrire hier, mais c’est parce que je n’ai vraiment pas eu le temps. C’était Noël, Tulipe n’a pas voulu que je mange. Je crois que j’ai les idées un peu plus claires. Elle est dans ma tête ? Je crois. Maman m’a trouvé pâle. Je suppose qu’elle a peur pour moi. Je n’ai pas eu le courage de parler au docteur S. Je pense que je ne lui parlerai plus jamais. J’ai peur qu’il me prenne pour une idiote. Je sens que Tulipe est de plus en plus faible et forte à la fois, car elle ne mange plus rien. Enfin si, elle mange mais tout ressort intact. Elle fait tout ressortir. Tulipe est violente en ce moment, je souffre de la savoir toujours si proche de moi et de ne pas pouvoir m’en débarrasser. Il faut croire qu’elle m’est utile. J’ai bien vu que je faisais de la peine à Maman. Je sais que j’en ai fait aussi à Papa, et je crois qu’en fait je ne fais que de la peine aux autres. Le docteur S. a discuté avec eux. Il est inquiet pour moi, il ne sait plus quoi faire. J’ai vu Maman pleurer. J’ai lu la peur dans les yeux de Papa. Ils ne savaient pas que j’étais là. Je ne veux pas, je ne peux pas continuer comme ça, à les faire souffrir. Je suis consciente qu’ils souffrent. Est-ce que je suis un monstre Jane ? Je me trouve monstrueuse, monstrueuse d’égoïsme, monstrueuse de l’intérieur, monstrueuse de laideur, un monstre. Maman et Papa s’en vont demain. Mais Tulipe elle, elle reste là. Je ne sais plus où j’en suis.
Le 27/12/06, 15h03
Je suis morte. Morte de l’intérieur. Je ne suis plus qu’une enveloppe osseuse. J’ai encore fait un malaise à cause de ma Tulipe. Le docteur S m’a prévenue, si je ne fais pas des efforts, je suis morte, pour de bon. Du coup, Maman va rester un peu plus longtemps. Papa lui e peut pas, il doit travailler pour payer l’hôpital. Je n’ai jamais autant souffert de le voir partir. Je me sens coupable de tout ce que je leur inflige et de tout ce que je m’inflige. Tout est de SA faute, c’est la faute de Tulipe, cette satanée Tulipe qui est en moi depuis si longtemps, cette Tulipe qui fait de ma vie un cauchemar, qui rend la vie de mes parents impossible, parfois je voudrais qu’elle meure, qu’elle me laisse tranquille. Mais je n’en ai pas la force, j’ai beau lui ordonner de se taire, ça ne marche jamais, elle est toujours là tapie dans l’ombre à guetter mes moindres faiblesses, et en ce moment il y en a tellement. Je me suis gravé son nom dans les veines, ou plutôt elle a gravé son nom sur ma peau. Je n’y suis pour rien. Quand elle est là, je suis comme possédée. Il faut vraiment que j’en parle au Docteur S. Peut-être qu’il m’engueulera, peut-être qu’il va me dire que j’aurai du lui en parler avant, peut-être qu’il va m’interner, mais ça m’est égal. J’y vais maintenant tant que j’en ai encore le courage. Je vais lui montrer mon journal. Adieu Jane.
Alexia-Tulipe.
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Note du 27/12/06: Ce journal intime montre ce que nous avons craint depuis le début pour cette petite, elle est schizophrène.
Note du 04/08/07: Après 8 mois de soins intensifs et de traitements psychiatriques, Alexia est guérie totalement de son anorexie. Autorisation de sortie dans une semaine.