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lemon a
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MessageSujet: Small   Small Icon_minitimeVen 22 Mai - 20:18

1/8

Depuis plusieurs heures ma cage thoracique hurle douleur. Elle me bouffe les chairs de la poitrine. Depuis plusieurs jours je peine à trouver le sommeil. Le Lexomil a rendu les armes et j'accumule le poids des nuits d’éveil. Depuis plusieurs semaines mes amis renvoient des airs contrits. Changer mon rythme, voir un médecin ou bien un psy. Depuis plusieurs mois ma mère se fait un sang d’encre. Ma mère fond en larme quand elle me voit ou quand elle pense à moi. Depuis plusieurs années je ne sers plus à rien, l’administration et l’opinion publique me chient dessus et même ceux qui me ressemblent le plus me considèrent comme un trou à merde. Et dans ma propre tête, depuis pas mal de temps, l’idée s'impose que c'est la vérité.

Aujourd’hui je décide d’arrêter. Je me rend au dispensaire d’une association humanitaire. Je patiente une heure et demi assis entre deux clandestins moldaves et une famille algérienne. Des enfants ont le teint jaunes. Devenir clean, transparent comme une eau pure. Le médecin retraité apparaît sur le seuil de la salle d’attente. Il écorche mon nom. Il me précède dans un cabinet rudimentaire : carrelage et peinture défraîchit, des couleurs acidulés ou fades, un bureau en ferraille et une table d'auscultation élimée. Le vieux médecin est assisté d’un éducateur à demi avachis sur un angle du bureau. Je me déshabille, je passe les examens nécessaires à l’établissement du bilan de santé. L’éducateur se nomme Paul, il porte un jean troué et un tee-shirt sur lequel est inscrit « liberté pour le Tibet ». Paul doit avoir mon âge : trente ans. Paul m’interroge : sur ma situation sociale, sur la couverture maladie universelle, sur mes consommations de drogues. Je prends à peu prêt toutes les défonces disponibles sur le marché. Je préfère quand même les stimulants, cocaïne et ecstasy principalement, amphétamine à défaut et de l’alcool en accompagnement ; du shit et du tabac évidemment. J'utilise parfois des opiacés pour amortir les descentes, rachacha ou héro. Je ne me pique pas, je fume, je gobe ou je sniffe, plusieurs fois par semaine et beaucoup le week end. Malgré tout, je pense que je ne suis pas toxicomane. L’éducateur dicte l’ordonnance au médecin : 8mg de Subutex quotidiennement pendant quatre mois. Il dit qu’on réduira les doses progressivement.

Le lendemain je me rend dans une pharmacie du centre-ville. J'esquive les yeux de l’employé. Le lendemain je laisse fondre un premier comprimé de Subutex sous la langue. Le truc me pourri toute la bouche et me ballonne dans les boyaux. Les jours suivants je souffre de stress et de nervosité. Je me réveille sur un matelas trempé de sueur, je prend des douches et des bains chauds. Je ne vois personne à part les cons de la télé. Le Subutex tempére un peu mon anxiété. Les semaines suivantes je pousuits le remède et la déprime. Je deviens comme une taupe enfoncée dans son trou. Mon dealer et mes potes de défonce se manifestent à plusieurs reprises sur mon portable mais je ne décroche pas. Un matin, je ne sais pas pourquoi, j'écrase le comprimé de Subutex et je l'inhale en trait. J'ai l'impression que ca me soulage mieux de cette façon là. Alors je recommence le matin suivant et finalement je me retrouve à sniffer du Subutex tous les matins. Les semaines passent, je ne parviens pas à réduire les doses. Le vieux médecin et l'éducateur affirment qu'il faut être patient, mes amis ont d’autres chats à fouetter, ma mère m’encourage à trouver du travail. Toutes les quinzaines on me délivre une nouvelle ordonnance. L’année suivante je réalise que je suis complètement accroc au traitement. Je réagis. Pour arrêter le Subutex on me prescrit du Skénan. Ca marche fort. Je ne prend plus de Subutex, non, j'adopte le Skénan, en snif, toujours. Je vis une existence de poisson mort. Aujourd'hui, hier, demain, je ne retrouve plus ma carte vitale. Le Subutex puis le Skenan, je me fournis dans la rue. Le vent me pique la peau, je suis blanc comme un linge.


2/8

Le téléphone sonne dans mon appartement vide. J'habite un pas de porte sombre donnant sur une ruelle. Une barre d'angoisse m'étreint l'estomac depuis que j'ai avalé mon café. Je bois un bock de café noir pour commencer la journée et vient cette angoisse indéfinie, sans raison palpable. Je décroche en m'installant sur le rebord de la fenêtre, me penchant contre la grille protégeant de la rue car mon portable ne capte pas dans l'appartement. En plus de l'inconfort de la position, le voisinage, entend mes discussions.

« Allo, Monsieur Cardan ?» interroge une voix masculine, avec un accent latin, inconnue au bataillon, apparemment sûre d'elle. J'imagine un type compétent, installé dans la vie, la cinquantaine.

En vérité, on m'appelle Small, à cause de ma petite taille et parce que, chez moi, tout semble restreint, mes bras, mes jambes, mon torse, ma tête. Je ne suis pas un nain, je suis comme le modèle réduit d'un type normal. Monsieur Cardan c'est pour la société, le monde hostile. Philippe Cardan, mon nom officiel, celui inscrit sur les registres et les ordonnances médicales. Je dis oui parce que je n'ai pas le courage mentir. L'angoisse me laisse sans défense.

L'homme enchaîne : «Monsieur Cardan, c'est très important, je suis un ami de votre père, votre père est décédé Monsieur Cardan, il est mort hier ».

Je ne sais pas quoi répondre, je n'ai rien à dire, je n'ai aucune imagination. Mon père a toujours été un fantôme, une probable raison psychologique de mon problème avec les drogues et la vie en général. Je ne l'ai jamais connu, jamais vu, je ne connais même pas son nom. Peut être qu'il m'a manqué pendant ces années où je vivais chez ma mère, en fils unique, peut être qu'il m'aurait aidé à m'en sortir. Mais depuis longtemps je ne me soucis pluss de ça, je ne me pose pas de question, j'ai tout zappé.

« Mon père ?» je demande stupidement. Au-dessus, à l'étage, un voisin profère des jurons racistes, je crois qu'il insulte son chien en le traitant de sale negro. Il lui manque une case à ce voisin, on l'entend gueuler régulièrement. Il doit être atteint du syndrome de Gilles de la Tourette ou d'une maladie proche. En général je préfère l'éviter.

« Oui votre père, je suis un ami de votre père » me répète l'homme, « il faut que je vous rencontre Monsieur Cardan ». Sa voix reste calme, posée, complètement déterminée.
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MessageSujet: Re: Small   Small Icon_minitimeDim 4 Oct - 15:54

3/8

Ma mère me fait vomir. Des cheveux courts, un gros cul, un jean à ourlets et des baskets de chrétiens. Elle est absolument remplie de ce coté béni oui oui qui n'hésite pas à vous signaler que vous avez oublié de dire s'il vous plait ou merci. Et qu'est-ce qu'on dit ?. Ma mère déteste la vulgarité, elle ne possède aucun sens de l'humour. Sa vie défile comme une campagne pluvieuse, sans sexe, sans drogue, sans rien de pétillant. Elle écoute France Culture et elle travaille à la Ddass, à s'occuper des petits orphelins et des enfants handicapés. Elle ne sait pas cuisiner. Elle fait des nouilles auxquelles on ajoute un peu d'emmental râpé, des oeufs au plat avec du poivre, elle ignore les sauces et toutes les bonnes choses de la vie.

Elle n'a jamais voulu me dire qui était mon père. Je ne sais même pas s'il s'agit d'un donneur de sperme anonyme, d'un routier ou d'un danseur de tango. Ce que je sais à présent, c'est qu'il est décédé.

Elle trempe son sachet de thé dans le bock, du thé avec du lait et des tartines de beurres sur du pain de mie grillé. La table en formica de la cuisine n'a pas changé depuis ma naissance. Jaune fade. Le thé n'a pas changé et les tartines non plus. Elle me regarde avec des yeux de limace, l'air renfrogné. Pour un peu je devrais la consoler parce que je pose des questions déplacées. J'ai déjà compris qu'elle ne me dira rien, elle préfère que je défriche des bouts de verité ailleur. Elle se défile. Elle voulait un enfant. Voilà le seul élément qu'elle m'a toujours répété. Je ne suis pas un accident. Je suis un enfant unique, élevé par une mère seule, moraliste, aimante et pieuse, imperméable aux couleurs de l'univers.

Je me défonce parce que je déprime et je déprime parce que je me défonce. Je suis comme une balle éternellement renvoyée par les deux murs qui se font face. Je tourne en circuit fermé. Du point A vers le point B et du point B qui me ramène sur le point A. Et puis le coup de fil de ce type m'ouvre une nouvelle perspective. Comme s'il avait percé une fenêtre sur un des murs. Il se passe enfin quelque chose dans ma vie. Je veux dire quelque chose qui me déclenche, quelque chose à découvrir. Ma mère boit son thé et me relance sur ma recherche d'emploi. Elle aussi tourne en circuit fermé.

J'en apprendrai plus demain, j'ai rendez-vous avec le type chez un notaire.



4/8

Dans une cuillère à soupe, la coke est mélangée avec de l'ammoniaque ou du bicarbonate de soude. Faites réduire à feux doux pour obtenir des petits cailloux brillants et translucides. On appelle ça le freebase : il s'agit de cocaïne pure. On dispose le freebase sur le foyer d'une pipe à eau, on aspire profondément en essayant de garder la fumée le plus longtemps possible dans les poumons et on laisse faire la drogue. Une vague de plénitude nous submerge puis nous saisit complètement. On atteint le calme de l'azur, la perspective cent pour cent zen, le truc simplement bon. Mais en réalité l'effet ne dure pas : cinq minutes passent au terme desquelles la vague reflue comme l'âme bénie d'un corps inerte. Elle retourne au paradis et vous jette à la frustration du passé idéal. Le freebase rend nerveux. Au cours de la session, les yeux des fumeurs fixent la pipe à eau comme si s'était le Saint-Graal.

Je sors du notaire dans le même état de béatitude qu'en montée de freebase. La chute risque d'être lourde mais, à ce stade, je n'y pense pas. Mon père est transformé en oncle d'Amérique, immensément riche et moi, je suis son unique héritier. Mon stock d'or brille sur plusieurs comptes bancaires, différentes propriétés luxueuses et un château du XVIem siècle forment mon patrimoine immobilier, je passe sur le jet, les bateaux et tous les autres gadgets qui achalandent l'étal de ma nouvelle fortune. Je suis riche, maintenant je suis heureux.

Mon escorte commandée par le type du téléphone, l'ami de mon père, un homme tel que je l'imaginais, grand, cinquantenaire, habillé sobre mais élégant, manucuré, rasé de prêt et charpenté, ouvre la route jusqu'à une Porsche Cayenne noire aux vitres teintées. Des rafales de vents sifflent dans la rue déserte. Des feuilles de journaux et des sacs en plastique se soulèvent du sol, emportés par le souffle violent. La végétation plie, des volets claquent. J'ai le sentiment d'un grand coup de balai. La tempête rend fou. L'ordre des choses s'envole, un nouveau monde va se lever.

«On part en Italie» me crie le type pour couvrir le bruit du vent «sur vos terres Monsieur Cardan». Il s'installe avec moi, à l'arrière du 4x4 et me présente aux gardes du corps.




5/8

Il n'existe rien de plus déprimant que ces mornes plaines italiennes dans la zone de Turin à Milan. L'autoroute se déploie comme une strie en béton armée forçant une platitude jaune pisse. Des bâtiments vétustes, sans aucun charme, servent de dépôts ou d'unités de production. Des fumées noires s'évaporent vers le ciel, des tas d'ordures jonchent les bas-côtés ou polluent des terrains vagues, clos par du grillage éventré. Comment fait-on pour vivre dans un coin aussi sordide, loin de la Renaissance, de Venise, de la Toscane et de tous les flonflons que la télévision vomit dans notre salle à manger ?

Notre 4x4 file sur de l'asphalte usé jusqu'à la corde. Nous évoluons dans un décors de film hospitalier. Un virus a décimé l'humanité, des zombies errent parmi les reliquats d'une civilisation décomposée. Je regarde autour de moi et je revois ce que je ne voyais plus avant d'entrer chez le notaire. Le monde dans sa réalité. Un élan de compassion me serre le coeur. Pauvres types, pauvres filles, pauvres enfants survivant parmi la ruine et les décombres. Des plaquettes de Skénan doivent tourner dans les villes du coin et plein d'autres médocs mélangés à de mauvais alcools. Les gens s'envoient de la chimie dans les veines. Les gens ont besoin d'oxygène.

On dit que les drogués dépérissent et qu'il faut les soigner mais c'est plutôt l'environnement qui se dégrade, c'est notre façon de vivre, c'est tout ce que nous sommes et ce que nous voulons devenir. Nos objectifs sont malades, nos résultats sont malades. Tous les jours, des kilomètres de poudres embouteillent les narines de victimes trop sensibles et romantiques. Des clochards répugnants agonisent sur les trottoirs, ingurgitant de la piquette pour se chauffer. Putain, j'en prends conscience sur le trajet. Je ne me sens déjà plus le même. La vie m'a sauvé. Un afflux d'énergie naturelle, une nouvelle puissance irrigue mon corps et mes pensées.

Mon ange gardien s'appelle Gianfranco Paparazzi. Il m'informe que l'enterrement de mon père est prévu pour le lendemain : cérémonie à l'église Mennagio, au bord du lac de Côme, puis je devrai me joindre aux porteurs du cercueil, en tête du cortège, qui se dirigeront vers le cimetière.

Paparazzi me prévient : « il faut être prudent, votre père était un homme très influent, tout le monde connaissait sa fortune». Il insiste : « ne vous séparez jamais de vos deux gardes du corps ».

A l'avant de la Porsche, ceux-ci, un garçon et une fille d'une vingtaine d'années, demeurent impassibles, le regard fixé sur la route, barré par une paire de lunettes de soleil. Ils ne ressemblent pas à des armoires à glaces, plutot à des cobras prêts à surgir de la boîte. Ils n'ont pas décroché un mot lorsque Gianfranco a effectué les présentations, mais j'ai noté leurs noms dans un coin de mon esprit : Hot et Lentar Dior.
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MessageSujet: Re: Small   Small Icon_minitimeSam 24 Oct - 15:53

6/8

Cusino abrite quelques deux cents âmes, dans les hauteurs montagneuses, entre le lac de Côme et le lac de Lugano, eux-mêmes distants d'à peine vingt kilomètres. Cette région des lacs, au nord de l'Italie, aux frontières de la Suisse et non loin de l'Autriche flirte avec le massif alpin. Mélange d'étendues aquatiques, de verdure franche et de reliefs boisés. Tout autour des lacs, de riches propriétés rivalisent d'opulence et renvoient, avec les vieux hôtels et leurs restaurants élimés, un charme nostalgique, une élégance d'époque passée.

Le parvis de l'église fait face au monument aux morts. Les combattants tombés sur le champ d'honneur figurent sur la plaque commémorative. Je me dis qu'un de mes ancêtre survit peut être, gravé dans le fer. Mon grand-père pourquoi pas. Je ne vois que deux noms patronymiques distincts parmi la dizaine d'inscriptions. Comme si deux familles seulement vivaient dans ce village. Je suis au bout du monde, du moins sur un bout de monde, à l'écart. Un endroit perdu, isolé sur le contrefort de la montagne. Un village pris dans la brume.

Une pluie fine noircit leurs costumes déjà sombres. Sur la place, devant l'église et vers la pizzéria, un ballet de personnages bien habillés semble flotter. Des berlines se rangent sur le parking, devant le vide rocheux de la montagne. Des conversations à voix basse, des accolades et des poignées de mains. Des types et des femmes portent des lunettes de soleil malgré la bruine et les nuages. Paparazzi accueille les visiteurs et s'entretient avec le prêtre. Je reste isolé avec Hot et Lentar, vers le monument aux morts. Mes gardes du corps tranchent avec le décors, Lentar surtout, qui porte une casquette de baseball mal assortie à son imperméable.

La cérémonie est ennuyeuse, d'autant que je ne parle pas italien. Une lassitude mordille mon estomac. Je prendrais bien un petit remontant. Un trait de coke pour me donner un peu de peps. Maintenant que je suis riche, j'ai l'impression que le temps a pris de la valeur. Je me prête de bonne grâce à cet enterrement, mais je me fais chier. Mon père est mort, bonne nouvelle ! Vivement qu'on en termine maintenant : fin de la messe et cortège au pas de course jusqu'au cimetière. Je regarde les visages dans l'église. Des hommes de pouvoir, certains ont les traits durs, le regard froid.

Paparazzi glisse leurs noms au creux de mon oreille pendant qu'ils me serrent la main. L'hommage à la famille, devant la tombe de mon père. Apparemment je constitue toute la famille à moi tout seul. Les mains sont humides et glacées, les expressions impénétrables. Avec la brume, le cimetière prend des allures de train fantôme. Derrière moi, une femme maintient un parapluie ouvert. La file est longue, plusieurs dizaines de personnes attendent pour me saluer. Je prends une mine de circonstance. Je vais mourir de faim.


7/8

A une certaine époque les architectes dessinaient des buildings recouverts de surfaces vitrées. Les immeubles scintillaient dès qu'il y avait un rayon de soleil, le verre plus ou moins réfléchissant renvoyait à la ville des images mates et gondolées. Peut être qu'il s'agissait d'une époque optimiste où qu'il s'agissait de faire entrer la lumière, même dans les banques et dans les sièges sociaux de multinationales. Jimmy Hendrix, Woodstock, les partouzes, un vent d'espoir soufflait.

Aujourd'hui les choses ont évolué. Je rentre dans un cube en béton armé dont les fenêtres ressemblent à des meurtrières. Epuration des lignes, formes simples, minimalisme. La cocaïne a envahi les bureaux d'architectes. On procède au grand ménage. Les choses doivent être claires, nettes et précises. Des grands formats bien découpés sur les murs blancs. C'est ce que je regarde pendant le conseil d'administration. La salle rectangulaire, la table noire rectangulaire, les chaises grises et rectangulaires et donc les grands formats, sombres et rectangulaires. C'est moderne, design, glacé. Evidemment je ne pige rien à la réunion. Tous parlent en italien. Paparazzi et les types autour de table développent l'ordre du jour et prennent des notes. Pas de femme parmi nous. Même Hot, qui d'habitude ne me quitte pas d'une semelle, est restée derrière la porte, avec Lentar. Cette réunion est longue comme une messe de Noêl.

Hier au soir, après l'enterrement, nous avons passé la nuit dans une maison vide de Cusino, sur des matelas posés au sol. Puis ce matin, nous avons repris la route, direction Milan, à soixante-dix kilomètres du village. Réunion, réunion réunion. Les minutes ressemblent à des heures, je porte ma croix jusqu'à ce que, enfin, chacun empoigne son attaché-case.

Riche ou pas riche je souffre du même problème d'expression. Faire entendre ma voix et ne pas me laisser entrainer par les autres vents. On décide pour moi. La société, les systèmes socio-sanitaires, Paparazzi. Les néons défilent au dessus de ma tête comme si j'étais couché sur un brancard d'hôpital, ce chariot à roulettes qu'on pousse pour déplacer les malades. Etendu sur le dos, je regarde le plafond, les néons qui se succèdent et le trajet ne mène nulle part.

Il faudrait être capable de taper du poing sur la table, imprimer mon rythme sur le monde. Au moins de temps en temps. Mais ça m'angoisse. Peut être que je me mobiliserai demain. J'y pense dans la voiture qui nous ramène vers Cusino. Vers la maison vide. Une maison vide alors que je suis plein aux as. La pluie continue de tomber, la route devient sinueuse. Nous remontons sur la montagne.

Plusieurs rafales de balles percutent le blindage de la Porche. Un pneu éclate et notre voiture dérape brusquement sur le bas-côté, vers le précipice. Nous heurtons la rampe de sécurité et revenons vers l'intérieur. Un nouveau déluge de projectiles martyrise la carrosserie. Une vitre explose, le reste semble tenir bon. Nous sommes immobilisés au mieu de la route. Je n'entends plus le bruit du moteur. Les détonations pêtent de partout, assourdissantes. Je suis tétanisé. Je n'ai pas peur, non. Je ne me rends pas compte de la situation, pris de vitesse. Je ne vois rien sauf du sang écarlate sur mes mains et des étincelles striant mon champ de vision. Paparazzi s'affale sur moi, mou, inanimé. Devant notre pare-choc défoncé, un arbre est abattu en travers de la voie. Impossible d'avancer et ni de reculer d'ailleurs : je crois que notre 4x4 a rendu l'âme. Un feu nourri fait crépiter la voiture comme du pop-corn dans une casserole. Où sont nos agresseurs ? On m'agrippe, la fille, Hot, me tire dehors. Je vois des bouts de ciel, du feu, des morceaux d'asphalte comme des carrés dans une mer déchaînée. Je ne sens rien, l'adrénaline m'anesthésie. Et je cours comme un dératé vers le précipice, tiré par Hot. Je me jette dans la végétation de la pente. Je m'accroche, me plaque au sol. Plus haut, une explosion retenti, forte, le sol a tremblé, un nuage de fumée noir monte au-dessus de moi, à travers la pluie, masquant petit à petit le ciel gris.





8/8

Il pleut des gourdins sur ma tête. Des pièges à loups me mordent le cul. Mon sang part en effervescence comme un efferalgan dans un verre d'eau. Je me sens totalement frénétique. Une grosse montée de patate. L'incandescence de l'action et les poudres sniffées, les cachetons, les pilules, les cailloux, les fumées, les buvards et toutes les autres substances plus ou moins solides qui me sont passées dessus depuis toutes ces années métamorphosent mon ADN. Aujourd'hui, le monde entier s'est donné rendez-vous pour une surprise-party. Une remontée de produits psychoactifs postérieure à l'épisode de consommation : on appelle ca un flashback. Mais une remontée simultanée de tous les produits ingérés au cours de la vie combinée au bonheur électrique de la richesse tombée du ciel et au choc fracassant de l'attentat dont, à n'en pas douter, je constitue la cible principale, je nomme cela une «éruption biologique». La lave enfouie jaillit du fond de mes entrailles. Mon épiderme vire au rouge vif, mes yeux sortent de leurs orbites et mes pommettes se tendent vers les oreilles. Je dois ressembler à un touriste anglais sur une plage marocaine, lifté et dépourvu de crème solaire. Le présent, le passé et l'envie de devenir fusionnent dans un fracas, je suis supersonique.

Je me relève, toujours aussi petit. Je m'appelle Small. Je fonce, gravis la pente et remonte sur la route. Les balles sifflent partout. J'aperçois une masse de fumée noire plus condensée à quelques mètres et des braises rougeoyantes vers la carcasse de ce qui fut notre voiture. Au milieu de cette fournaise, Lentar Dior a retiré sa casquette de baseball, deux cornes courtes émergent de son front. Ses yeux brillent, tout comme les flammes qui dansent autour de lui. Un air de démence habite l'ensemble de ses traits. Je vois le diable. Ou peut être un démon. Côté sommet, le flanc de la montagne brûle. Je crois que des types hurlent. Je crois que d'autres types continuent à mitrailler à l'aveuglette. Je gueule moi aussi, à m'en briser les cordes vocales. Je ramasse des pierres et je les jette sur nos agresseurs, un peu au hasard, à l'instinct. C'est la putain de guerre et maintenant je pète mon putain de plomb. La larve est sortie du cocon, à moi la liberté, je m'envole. Lentar nettoie la zone de provenance supposée des tirs ennemis en propulsant des flammes avec la bouche. Il crache du feu bon Dieu de merde !. Il bombarde au napalm comme un avion américain survolant le Viet Nam. Ni la pluie ni personne n'y peut rien. Tout se consume. Un mur de feu nous regarde. Je saute en l'air, je continue à envoyer des pierres et puis je crois que les tirs cessent. Le calme revient et Hot réapparaît sur la route. Sa silhouette atomique se découpant, divine et sensuelle, dans la lumière de l'incendie.

Le cadavre carbonisé de Paparazzi gît parmi les restes du 4X4. Nous l'abandonnons là derrière nous et entamons à pied, sous la pluie, les quelques kilomètres de côtes qui nous séparent de Cusino. Je sais qu'on ne viendra pas me chercher dans le village de mes ancêtres.



Après dix heures de vol, le Boeing descend enfin sur Manaus. Il fait nuit noire. Hot peut se pencher sur le hublot elle ne verra pas l'Amazonie ce soir. Lentar a commandé un whisky. Moi aussi. Paparazzi avait prévu l'option coup dur et remis une enveloppe à mes deux gardes du corps. A l'intérieur : les billets d'avion, une adresse et le nom d'un type à contacter. Je dois récupérer les clefs de la chambre au trésor. Une partie de mes actifs attendent quelque part, dans la forêt vierge. Je dois remettre ma vie en ordre, avec mes nouvelles cartes. Je ne sais toujours pas qui est mon père et je m'en tape.
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